En janvier dernier, la Commission européenne a donné son feu vert pour la mise sur le marché européen de deux nouveaux types d’aliments issus de grillons et de ténébrions mats. Depuis, de nombreuses personnes affirment sur les réseaux sociaux que les consommateurs mangeront désormais des insectes sans le savoir. C’est totalement faux. L’étiquetage des aliments doit obligatoirement mentionner la présence d’insectes, comme l’indiquent deux nouveaux règlements publiés début 2023.
Une décision très critiquée
Il est dorénavant possible de trouver sur le marché européen toutes sortes d’aliments (pain, pizzas, barres de céréales, etc.) fabriqués à partir de grillons et de larves de ténébrion mat. L’Union européenne a en effet autorisé leur commercialisation dernièrement. Plusieurs personnalités ont montré leur désapprobation face à cette décision. Le sénateur LR (Les Républicains) Laurent Duplomb se demande notamment comment une telle situation a pu produire alors que la France est reconnue mondialement pour sa gastronomie. De son côté, l’eurodéputée RN (Rassemblement national) Aurélia Beigneux a dénoncé une volonté de transformer les modes de consommation.
En parallèle, de nombreux internautes ont accusé la Commission européenne d’avoir autorisé la mise sur le marché de tels produits sans avoir prévu un étiquetage particulier pour informer les consommateurs de leur composition. On retrouve sur Twitter et Facebook une multitude de publications affirmant que les gens mangeront désormais des insectes sans le savoir. Un tweet partagé plus d’un millier de fois en quelques jours indique par exemple : « Le fabricant n’a pas à le spécifier sur l’emballage, car c’est considéré comme utilisable en alimentation ‘bio’ ». Un autre internaute s’est interrogé sur Twitter comment les consommateurs pourront éviter les farines à base d’insectes étant donné que les producteurs ne sont pas obligés d’en faire mention sur les emballages. Sa publication a été partagée plus de 600 fois.
Les inquiétudes relatives à l’étiquetage concernent surtout les risques allergènes des aliments qui contiennent des produits issus d’insectes. « Il est fort probable que les personnes allergiques aux crustacés, aux mollusques et aux acariens le soient aussi aux insectes. Mais l’UE s’en fiche. », a déclaré le complotiste Silvano Trotta dans un post sur Twitter. D’après une autre publication sur le réseau social, aucune exigence d’étiquetage n’est préconisée par la Commission concernant les allergies possibles.
Des affirmations trompeuses
Les consommateurs ne mangeront pas d’insectes à leur insu. La Commission européenne a bien prévu des directives claires sur l’étiquetage dans les deux autorisations de mise sur le marché publiées début janvier 2023. La DGCCRF (Direction générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des fraudes) l’a confirmé à l’AFP.
Ces nouveaux règlements visent à encadrer aussi bien la production que la commercialisation de deux nouveaux types de produits : la poudre de grillons domestiques (Acheta domesticus) partiellement dégraissée et les formes congelées, en pâte ou en poudre de larves de ténébrion mat (Alphitobius diaperinus). Il faut savoir que les aliments à base de grillons sous une autre forme étaient déjà admis sur le marché européen depuis février 2022. Pour sa part, le ténébrion mat est le quatrième insecte dont l’Union européenne a autorisé la consommation.
Contrairement à ce que laissent entendre certaines publications, ces autorisations ont été validées à la majorité qualifiée par les États membres et non seulement par la Commission européenne. Par ailleurs, chacune d’entre elles a été approuvée par l’EFSA (Autorité européenne de sécurité des aliments), l’agence chargée d’évaluer la sécurité d’un produit avant sa mise sur le marché. Ces autorisations sont de plus limitées à une période de 5 ans, sans compter qu’elles sont très ciblées. Seule l’entreprise Cricket One a été autorisée à commercialiser des produits à base de grillons et Ynsect pour les produits issus du ténébrion mat.
D’autre part, ces deux règlements obligent les producteurs à mentionner le nom des ingrédients, en latin comme en français, comme l’a indiqué la Commission européenne à l’AFP. La DGCCRF a corroboré ce point en expliquant qu’il existe un encadrement précis pour la réglementation concernant les novel foods (nouveaux aliments). Elle commente : « Lorsqu’une autorisation est accordée au titre de la réglementation ‘novel food’, elle précise notamment la façon dont il doit être désigné, avec, dans le cas d’espèce, identification de l’insecte autorisé (le nom de l’insecte et son espèce apparaissent en clair dans la liste des ingrédients). ».
En somme, la composition des produits à base d’insectes sera indiquée sur leur emballage comme c’est le cas avec les autres aliments. Les consommateurs seront donc fixés en consultant la liste des ingrédients.
Qu’en est-il de la mention concernant le caractère potentiellement allergène des produits issus d’insectes ?
La DGCCRF a aussi souligné que l’emballage des produits issus d’insectes comportera nécessairement une mise en garde, notamment à destination des consommateurs allergiques aux crustacés. En effet, l’ensemble des agences sanitaires ayant mené des études sur ce type d’aliment a admis son caractère potentiellement allergène.
L’ESFA a notamment indiqué dans plusieurs avis que la consommation de larves et de grillons était susceptible de causer des réactions allergiques chez certaines personnes qui souffrent déjà d’allergies aux crustacés, aux mollusques et aux acariens. En France, l’Anses (Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail) avait également recommandé aux consommateurs avec des prédispositions aux allergies de se montrer prudents avec les produits contenant des insectes, car ces derniers présentent des allergènes communs à de nombreux arthropodes, dont les crustacés, les mollusques et les acariens.
Les deux nouvelles autorisations disposent de ce fait que les producteurs de denrées alimentaires issues d’insectes ont l’obligation de créer un étiquetage approprié. Concrètement, ce dernier doit comporter une mention indiquant qu’un ingrédient précis est susceptible de provoquer des réactions allergiques chez les personnes souffrant d’allergies connues aux crustacés ou aux mollusques et aux produits qui en sont dérivés ainsi que chez celles qui sont allergiques aux acariens.
Tout danger pour la santé humaine écarté
De nombreuses allégations concernant les dangers de la consommation d’insectes pour la santé humaine ont réapparu depuis que la Commission européenne a autorisé la mise sur le marché d’aliments issus de grillons et de ténébrions mats. Certaines molécules présentes chez les insectes ont particulièrement été incriminées dans plusieurs publications d’internautes. Tel est entre autres le cas de la chitine qui ne serait pas digestible par l’être humain et qui serait cancérogène. Il faut savoir que cette substance est aussi retrouvée dans les crustacés, les champignons, les bactéries, les levures et les algues.
En août 2022, la biologiste Mareike Janiak a déclaré à l’AFP que la chitine pouvait ne pas être digérée dans son intégralité. En revanche, elle ne présente aucun danger pour la santé. La chercheuse a ajouté que les affirmations selon lesquelles les insectes ne sont pas un aliment adapté aux mammifères sont tout à fait fausses. Selon ses explications : « Les humains possèdent un gène fonctionnel pour cette enzyme, il est donc possible que nous puissions réellement traiter la chitine dans nos intestins. Ceci dit, même si nous ne le pouvions pas, la chitine passerait simplement à travers notre organisme, tout comme la cellulose du céleri et d’autres légumes. ».
Pour sa part, l’EFSA a indiqué n’avoir constaté aucun problème lié à la consommation d’aliments contenant du grillon et du ténébrion mat après avoir examiné les études sur la chitine. Elle affirme ainsi que les produits issus de ces insectes ne constituent pas de danger pour l’être humain dans les conditions d’utilisation et les doses préconisées par les autorisations.
En 2015, l’Anses a fait un état des lieux des dangers potentiels liés à la consommation d’insectes. Ceux-ci se rapportent entre autres aux substances chimiques telles que le venin et à l’éventuelle ingestion de dards ou de rostres. Ces derniers temps, des internautes ont lancé des avertissements en se basant sur l’évaluation de l’instance scientifique.
Le directeur de l’évaluation des risques de l’Anses, Eric Vial, tempère cependant en notant que risques et dangers sont souvent confondus. Il commente : « Il y a d’abord les dangers, qui sont intrinsèques aux insectes ou au processus de production. Puis on évalue ensuite les risques en fonction des dispositions qui sont prises par rapport aux dangers. ». Cela explique les dispositions précises, indiquées par l’EFSA et la Commission européenne dans les documents d’autorisation, concernant les conditions d’utilisation et de fabrication de produits contenant des insectes.
Entomophagie : une pratique qui reste rare Europe
D’après la FAO (Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture), près de 2 milliards de personnes dans le monde pratiquent l’entomophagie. En revanche, la consommation d’insectes est encore très peu fréquente en Europe.
Giovanni Sogari, chercheur en sciences sociales et de la consommation à l’université de Parme, a fourni des éclaircissements quant aux réactions suscitées par l’autorisation de mise sur le marché de nouveaux aliments contenant du grillon et du ténébrion mat. Selon lui, la répugnance suscitée par l’idée de manger des insectes chez de nombreux Européens est liée à des raisons cognitives provenant d’expériences sociales et culturelles. Néanmoins, un changement d’attitude peut survenir avec le temps, indique-t-il.